Épingle de cravate

Au musée musées des Arts décoratifs à Paris

Anonyme

Épingle de cravate

Paris (?) XIXe siècle
Or émaillé, diamants taille rose
Paris, musées des Arts décoratifs, inv. 25784
Don de Mathilde de Rothschild, 1926

La baronne Henri de Rothschild, née Mathilde Weisweiler, épouse du baron Henri de Rothschild, a établi un testament qui commence par les termes suivants : « Je désire que ma collection de têtes de mort aille aux Arts décoratifs, au Petit Palais ou à Carnavalet, elle comprend des bibelots, gravures, tableaux, statues, objets d’art de toutes sortes, tant à La Muette qu’à l’Abbaye ». Les objets ont effectivement intégré les collections du musée des Arts décoratifs en 1926. Ce legs comporte 180 objets sur le thème de la tête de mort et du squelette, en majorité occidentaux, hormis une vingtaine d’objets orientaux. Leur variété est telle que l’énumération de leur typologie ressemble à un inventaire à la Prévert.

Dans Le Cousin Pons, revue des collectionneurs, des amateurs d’art et des curieux on pouvait lire, en octobre 1926, l’article nécrologique suivant : « Alors que la plupart des femmes s’amusent à réunir dans des vitrines des bijoux, des éventails, des nécessaires à ouvrage anciens, la baronne Henri comme on l’appelait couramment prenait plaisir à collectionner de minuscules têtes de mort en toutes matières. Littéralement passionnée par la chasse de ces bibelots, elle avait réuni tout ce que l’art japonais a produit dans le genre le plus étonnant et aussi le Moyen Age et la Renaissance […]. Tous les types de spécialité lugubre étaient représentés ; depuis les extraordinaires netsukes en bois ou en ivoire jusqu’aux breloques, amulettes, grain de chapelet porte-poison lilliputien en métal précieux ou émail orné de pierreries. Les amis de la baronne connaissaient cette passion, les marchands aussi et il n’était pas de petit crâne remarquable qui ne lui fut signalé ou envoyé. »

Les quelques écrits qui mentionnent le nom de Mathilde Weisweiler ne font pas état de ce penchant pour la collection, pas plus qu’ils nous renseignent sur le modus operandi qui poussa la baronne à collectionner en si grand nombre des objets de telle sorte. Son mari, le baron Henri de Rothschild, qui écrit abondamment, sur lui-même dans sa Croisière autour de mes souvenirs et sur son oncle Arthur dans Un homme de qualité, lui consacre une biographie intitulée Une dame d’autrefois, publiée vingt ans après la mort de la baronne. Le baron dresse un portrait de sa femme « maîtresse de maison la plus avenante », et de son engagement comme infirmière, au cours de la Grande Guerre, mais ne parle à aucun moment d’un goût pour la collection. De même, la baronne Thérèse, belle-mère de Mathilde ne tarit pas d’éloges sur sa belle-fille mais se cantonne à évoquer son activité d’infirmière.

Comment se fait-il que ni son mari, ni sa belle-mère, n’aient évoqué ce trait de caractère, cette passion pour la collection ?

La provenance des objets demeure largement inconnue. A l’exclusion d’une canne à pommeau en forme de tête de mort acheté chez un marchand parisien, d’un petit crâne provenant de la collection Arthur Kay, et de dix objets identifiés avec certitude dans la collection Le Barbier de Tinan, vendue en 1919 à Paris, on ne sait comment les autres œuvres de la collection ont été collectés. Le baron Henri a consacré un ouvrage à l’abbaye des Vaux-de-Cernay qu’il avait hérité de son oncle Arthur de Rothschild. Mais il ne fait aucunement mention de ces objets alors que certains d’entre eux étaient conservés à l’Abbaye selon le testament. Existe-t-il des informations inédites dans d’autres sources, en particulier la correspondance d’Émile Molinier ? Ce conservateur au département des objets d’art du Moyen Âge au musée du Louvre ayant, en effet, été appelé par Mathilde pour aider au réaménagement et la décoration de cette abbaye cistercienne…

Cette collection dont la singularité rappelle celle de la baronne Alice de Rothschild, collectionneuse d’armes et d’armures et surtout de pipes et boîtes d’allumettes, demeure mystérieuse. Face au silence des écrits, nous continuons à nous interroger sur les motifs qui ont porté la baronne Henri à collectionner ces objets macabres.

Cette passion tire peut-être son origine du traumatisme de la Grande Guerre, et de la confrontation quotidienne avec la mort. Elle exprime peut-être aussi un intérêt philosophique que la baronne partageait avec son mari, médecin de formation.

A défaut de documents, notes, agendas, correspondance attestant de l’activité de collectionneuse de Mathilde, ce qui donne vie à cette collection de têtes de mort c’est uniquement son testament et sa nécrologie. Cette collection est-elle le signe posthume d’une démarche cachée de son vivant ? Le caractère sardonique de certains de ces objets, comme l’épingle de cravate figurant un crâne portant un monocle et mâchonnant un gros cigare, est peut-être l’indice d’un certain raffinement de l’humour noir enfin mis en abîme.

Sophie Motsch, Assistante de conservation au musée
des Arts décoratifs, Paris

* Ce texte a été présenté lors de la table-ronde dédié au programme « Les collections Rothschild dans les collections publiques françaises » à l'occasion de la parution de l'ouvrage dirigé par Pauline Prevost-Marcilhacy (Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France, 3 vol., Paris, éditions du Louvre/Bibliothèque nationale de France /Somogy éditions d'art, 2016) et de la mise en ligne de ce site (Paris, l'Institut national d'histoire de l'art, 24 novembre, 2016).   

 En savoir plus

Bibliographie

– Motsch, Sophie, «Têtes de mort au musée des Arts décoratifs, 1926 », dans P. Prevost-Marcilhacy (dir.), Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France, Paris, éditions du Louvre/BNF/Somogy, 2016, II, p. 228-235.

– Prevost-Marcilhacy, Pauline, « Henri de Rothschild », dans P. Prevost-Marcilhacy (dir.), 2016, II, p. 204-219.

–  Rothschild, Henri de, Une dame d'autrefois. La baronne Mathilde Henri de Rothschild (1872-1926), Lausanne, Imprimeries réunies,1946.

Intervention de Sophie Motsch