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La pendule-lyre du salon des Jeux à Versailles
A Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Courieult et Coteau
Manufacture royale de porcelaine de Sèvres
Pendule Lyre
1785
Porcelaine tendre, émail, bronze doré
H. : 62,5 cm
Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. R 483
Legs de la baronne Salomon de Rothschild, dépôt au château de Versailles, 2009.
Le legs de la baronne Salomon de Rothschild aux musées du Louvre et de Cluny, comprenait une infinie variété d’objets d’art d’époques diverses, parmi lesquelles 338 pièces de porcelaine de la manufacture de Vincennes-Sèvres qui permettaient d’illustrer la production de cet établissement depuis le milieu des années 1750 jusqu’à la Révolution. Le legs contenait quelques vases très rares, comme le vase « Duplessis » à fleurs, le vase « Le Boitteux », les vases « en burette » qui ont sans doute appartenu à Nicolas Beaujon et le vase pendule Boizot. Le legs comprenait également de nombreuses pièces de service qui témoignaient de près de 50 ans de production, certaines de provenance royale. Enfin, une table de Carlin, dotée de plaques de porcelaine peintes par Micaud, complétait cet ensemble très important.
Les collections de la baronne Salomon étaient constituées de deux noyaux principaux. Le premier provenait de la part d’héritage qu’elle avait reçue à la mort de son père, Mayer Carl von Rothschild. Une seconde partie,qui comprenait presque toutes les pièces de porcelaine de Vincennes-Sèvres, était issue des collections réunies par son époux, Salomon James de Rothschild, qu’elle avait épousé à Francfort, en 1862. Ce dernier, un jeune cousin germain de son père, était le 3e fils du baron James, le fondateur de la branche française. Salomon mourut le 14 mai 1864, léguant l’essentiel de ses collections à sa veuve. Il avait mené une vie un peu fantasque, assez éloignée du cursus familial. Dans les quatre dernières années de sa vie, au retour d’un grand voyage aux États Unis, Salomon semble s’être comporté comme un collectionneur frénétique, s’intéressant à de multiples domaines mais montrant aussi un véritable goût pour les arts du feu, réunissant faïences hispano-mauresques, majoliques italiennes, verres vénitiens, émaux peints français et vénitiens, porcelaines de Chine et du Japon, porcelaines françaises. Les factures des œuvres acquises durant cette période, conservées aux Archives Rothschild, à Londres, montrent que pour mener à bien ses acquisitions, Salomon de Rothschild s’adressait à une dizaine de marchands européens, principalement Van Cuyck à Bruxelles, Philips, à Londres, Mellerio ou Beurdeley, à Paris...
Parmi les porcelaines de Vincennes-Sèvres léguées par la baronne Salomon, l’objet le plus précieux à nos yeux est la pendule-lyre qui ornait la cheminée du salon des Jeux, à Versailles, à la veille de la Révolution. Celle-ci a désormais retrouvé son emplacement d’origine en 2009. Le corps de la pendule, ou plutôt la boîte comme on disait au XVIIIe siècle, a été façonné en pâte tendre et revêtue d’un fond beau bleu. Le mécanisme est dû à l’atelier de l’horloger Courieult dont il porte la marque. Le décor du cadran, constitué des signes du zodiaque, entre lesquels on distingue des émaux sur paillons d’or d’un extrême raffinement, est de la main de Coteau, l’un des meilleurs émailleurs de son temps, qui l’a signé et daté. Le mécanisme est doté de quatre aiguilles qui donnent les heures, les minutes, les jours et les mois. La lyre est enrichie d’un abondant décor de bronze doré, constitué d’un soleil rayonnant, de guirlandes de fleurs et de fruits, d’un rang de grosses perles et de tores de laurier qui prennent naissance sous le cadran. La présence de ces éléments décoratifs, bien décrits dans les documents du XVIIIe siècle, est essentielle car elle a permis de reconnaître avec une quasi-certitude, dans cet objet, la pendule-lyre de Louis XVI. En effet, on connaît quelques autres pendules lyres en porcelaine de Sèvres à fond beau bleu, de cette période, dotées d’un même décor de bronze, mais leurs mécanismes sont dus à d’autres horlogers comme Garrigues ou Kinable. Dans d’autres cas, quand le mécanisme est dû à Courieult, le cadran n’a pas reçu de décor émaillé et, à la place des perles en bronze doré, on trouve parfois un rang de strass.
Grâce à une facture conservée aux Archives Rothschild, on apprend que la pendule a été acquise par Salomon le 18 novembre 1863, chez Van Cuyck, pour 5250 francs, une somme importante quand on songe que la table de Carlin avait été acquise trois mois plus tôt, chez le même marchand, pour 1050 francs. A cette date, Salomon et Adèle de Rothschild habitaient 25, faubourg Saint-Honoré. Curieusement, dans l’inventaire, dressé en 1864 après le décès de Salomon, la pendule est mentionnée dans une pièce entresolée, servant de garde-meuble. On peut s’étonner qu’une œuvre aussi insigne ait reçu un sort aussi modeste mais Victor Champier, dans sa description de l’hôtel de la baronne Salomon, élevé quelques années plus tard, rue Berryer, par Ohnet, à l’emplacement de la Folie-Beaujon, nous en donne la raison : « M. Salomon de Rothschild avait possédé à un rare degré l’amour véritable de l’art. Il entassa en quelques années des trésors devenus inestimables et qui, un peu pêle-mêle […], s’empilèrent dans des magasins. C’est pour donner à toutes ces merveilles le cadre qui leur convenait que la baronne Salomon voulut se faire bâtir un hôtel ». Par ailleurs, la pendule n’était pas encore identifiée à cette date comme étant très probablement l’exemplaire de Louis XVI. En revanche, dans l’hôtel de la rue Berryer, où Adèle de Rothschild s’installa en 1878, la pendule figurait en bonne place dans la salle des curiosités, au milieu des hispano-mauresques, des majoliques italiennes et de quelques pièces extrême-orientales.
Mais, revenons à l’histoire de la pendule au XVIIIe siècle. Nous savons que le 4 janvier 1786, Louis XVI acquit 2 lyres « beau bleu » d’un modèle tout nouveau auprès de Sèvres, pour 192 livres chacune. L’une d’entre elles reçut sans doute peu après un mécanisme dû à l’atelier de Courieult, tenu par sa veuve après son décès, le 16 janvier 1786, et un cadran décoré antérieurement par Coteau qui l’a signé et daté de 1785.
La pendule-lyre est mentionnée à Versailles, sur la cheminée du salon des Jeux, dans plusieurs documents antérieurs à l’époque révolutionnaire, notamment dans un état des pendules, établi en 1787 : « Une pendule de cheminée en forme de lyre, en porcelaine bleu, ornée de bronze doré […], les entourages […], en perles, branches de laurier et guirlandes de roses. Le haut est terminé par un soleil, mouvement marquant les jours du mois et signes du zodiaque [...] Par Courieult » (O1 35101). Dans l’inventaire de 1791, dressé dans l’appartement intérieur, elle est à nouveau décrite dans des termes similaires. Selon Pierre Verlet et Christian Baulez, la pendule fut cédée trois ans plus tard, en nivôse an II, pour 1800 livres au marchand Chandeseigue.
On perd ensuite sa trace jusqu’à l’achat effectué par Salomon de Rothschild, en novembre 1863. Comme l’ont montré Christian Baulez, en 1978, et Pierre Ennès, en 1997, seule cette pendule présente toutes les caractéristiques énoncées plus haut. De retour à Versailles, elle contribue désormais magnifiquement au remeublement du salon des Jeux de Louis XVI.
Marie-Laure de Rochebrune, Conservateur en chef au château de Versailles
Ce texte a été présenté lors de la table-ronde dédié au programme « Les collections Rothschild dans les collections publiques françaises » à l'occasion de la parution de l'ouvrage dirigé par Pauline Prevost-Marcilhacy (Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France, 3 vol., Paris, éditions du Louvre/Bibliothèque nationale de France /Somogy éditions d'art, 2016) et de la mise en ligne de ce site (Paris, l'Institut national d'histoire de l'art, 24 novembre, 2016).
En savoir plus
Bibliographie
– Rochebrune, Marie-Laure de, « Porcelaines du XVIIIe siècle », dans P. Prevost-Marcilhacy (dir.), Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France, 3 vol., Paris, éditions du musée du Louvre/Bibliothèque nationale de France/éditions d'art Somogy, 2016, II, p. 116-135.
Intervention de Marie-Laure de Rochebrune