Cadre de douze médaillons en bronze, par Jean Désiré Ringel d’Illzach

Au musée des Beaux-Arts de Tourcoing

Cadre de douze médaillons en bronze, par Jean Désiré Ringel d’Illzach

Jean Désiré Ringel d’Illzach

(Illzach, 1847 - Strasbourg, 1916)

Cadre en bois de douze médaillons en bronze

H. 95 cm x L. 120 cm (dimensions du cadre) ; D. 18 cm (dimension de chaque médaillon)
Bronze fondu à la cire perdue probablement par Pierre Bingen (1842-1904)
Tourcoing, musée des Beaux-arts ; inv. 893.3.1
Don Alphonse de Rothschild, 1893.

 

Avec près de cent cinquante médailles réparties en une quinzaine de dons, Jean Désiré Ringel d’Illzach se classe à la première place des médailleurs bénéficiaires de la générosité d’Alphonse de Rothschild. L’ensemble des achats se concentre sur cinq ans, de 1890 à 1895, et exclusivement par lot de six, dix ou douze médaillons en bronze, rassemblés dans des cadres. Ce mécénat intensif offre à l’artiste la possibilité de mener une carrière autonome, loin des cercles officiels, une marginalité qui résulte aussi de l’originalité du talent de Ringel, cumulé à un tempérament « ombrageux et un peu sauvage » (Lorrain, p. 126).

Né dans un village du Haut-Rhin dont il ajoute la mention à son patronyme à partir de 1886, Ringel arrive à Paris vers 1862 pour poursuivre un apprentissage du dessin à la Petite École, avant d’entreprendre des études de sculpture dans l’atelier que Jouffroy dirige à l’École des beaux-arts. Flûtiste par passion, il fréquente également le Conservatoire de musique, mais s’en fait rapidement exclure « sous prétexte que la musique n’est point destiné à servir de marchepied à la sculpture » (Leroi, 1885, p. 63). Avant de connaître son premier succès au Salon de 1880 avec La marche de Rakoczy, il vivote pendant plus de quinze ans, multipliant les tournées musicales en Allemagne ou en Italie, donnant des modèles pour des entrepreneurs de sculpture ou de porcelaine et exécutant des portraits dessinés ou modelés en médaillons. Entre cette figure de la bohème et le baron Alphonse de Rothschild, rien ne laisse présager le formidable soutien dont il bénéficie durant la dernière décennie du XIXe siècle, sauf à rappeler l’éclectisme du goût du mécène et un caractère à apprécier l’originalité.

La réputation des premiers médaillons de Ringel encourage Léon Gauchez, alors directeur de la revue l’Art, à commander en 1882 les profils de Léon Lhermitte et Auguste Rodin. Dès lors, la collaboration entre la revue et le médailleur s’affirme par la conception de deux séries de douze médaillons. Les figures contemporaines ambitionnent de conserver le souvenir « des Français les plus éminents ». Selon le descriptif publicitaire qu’en donne J. Rouam, éditeur de la Librairie de l’Art, qui détient en outre le droit de reproduction, chaque profil est « singulièrement modelé, de 18 cm de diamètre, […] accompagné d’attributs, d’inscriptions ou d’emblèmes ayant trait à l’influence intellectuelle exercée sur l’histoire contemporaine par chacun des individus qui sont représentés ». C’est ainsi que le vigoureux profil d’Auguste Rodin dont la longue barbe se mêle au textile de sa blouse de sculpteur, s’accompagne, dans le champ à droite, de ciseaux, d’une spatule et d’un maillet, outils qui servent d’attributs de son art, et que, dans le champ à gauche, la silhouette de l’Âge d’Airain, sa fameuse statue qui le propulse sur le devant de la scène, confirme l’identité de l’artiste si l’œil du spectateur aurait manqué l’inscription sommitale bien explicite.

Ringel s’active à la réalisation de ce panthéon métallique entre 1882 et 1888. Il présente ponctuellement quelques exemplaires au Salon des artistes français de 1887 et 1888. Cette année, l’exposition de médaillons en bronze et en terre cuite sous les numéros 4812 et 4813, lui vaut une médaille de troisième classe. Cinq ans plus tard, la large diffusion de la série à travers la France débute par l’intermédiaire de plusieurs dons. Toutefois, il faut préciser que cette contribution d’un mécène privé à l’enrichissement des collections françaises ne précède pour cette fois pas l’action de l’État, mais lui succède. (Nous nous sommes intéressée au processus inverse et l’avons détaillé lors d’une communication au colloque de 2018). En effet en 1886, Ringel prend l’initiative d’adresser à l’Administration des beaux-arts une proposition d’acquisition. Le 30 janvier 1886, il écrit : « Les suffrages que ces médailles ont obtenus des connaisseurs, me permettent de penser que j’ai fondé une œuvre durable à la gloire de nos contemporains déjà illustres dans la politique, l’armée, les lettres, les sciences et les arts » (Arch. nat., F21 2108). L’État consent alors à acheter quarante-deux médaillons au prix unitaire de vingt francs dont une partie rejoint les collections du musée du Luxembourg, constituant aujourd’hui le fonds du musée d’Orsay.

Pour revenir aux dons spécifiquement médaillistiques d’Alphonse de Rothschild, nous dénombrons six cadres de douze médaillons signés Ringel envoyés en 1893 à Armentières, Avignon, Boulogne-sur-Mer, Cannes, Draguignan et Tourcoing ; six autres cadres destinés en 1895 à Bergues qui ne contient que trois médaillons, à Nîmes qui en compte quatre, à Laon qui en présente comme précédemment douze et à Honfleur, Toulon et Tulle dont les cadres s’agencent chacun autour de dix profils. S’ajoute à eux, la première libéralité concernant la production de Ringel en faveur du musée des beaux-arts de Bordeaux. Il s’agit d’un cadre de douze médaillons qui provient très probablement de l’Exposition universelle de 1889 où un ensemble similaire est présenté sous le numéro 2119 (section beaux-arts, groupe 1, classe 3). Le cas de figure se répète pour le musée d’art et d’histoire de Montmorillon qui accueille en 1892 un don semblable : un cadre de douze médaillons représentant des hommes célèbres. Enfin, il faut signaler que le musée de Laon est l’heureux destinataire de deux cadres. En plus de celui déjà mentionné, un second contenant six médaillons en terre cuite parvient dans leur collection avant 1893, une date d’entrée qui n’a pour l’instant pas été confirmée.

L’absence de concordance entre les œuvres de Ringel réparties dans les musées de région et les mentions d’exposition aux Salons encourage à penser que la voie de la commande a été privilégiée pour ces ensembles. Ce choix donne d’autant plus la possibilité au médailleur de composer des cadres cohérents qui contiennent à chaque fois une variation à partir des vingt-quatre types disponibles. Cette sélection permet d’individualiser chaque ensemble tout en présentant des hommes à la renommée incontestable pour l’époque et par conséquent au public d’identifier aisément les profils. Le cadre de douze médaillons conservé au musée des beaux-arts de Tourcoing est à ce titre une parfaite illustration. Les fontes en bronze à la cire perdue dont la patine met en valeur un relief vibrant qui accroche la lumière se révèlent d’une indéniable qualité, fruit de la collaboration étroite avec le fondeur Pierre Bingen. La disposition des profils de Victor Hugo, Ernest Renan, Léon Lhermitte et Auguste Rodin sur la première ligne, Edmond Got, Francisque Sarcey, Alexandre Dumas fils et Charles Gounod sur la seconde ligne, puis Louis Pasteur, Jean Dollfus, Emile Augier et Eugène Guillaume sur la troisième est sciemment réfléchie pour qu’ainsi placés face à face, ils puissent symboliquement entretenir un dialogue. Même si l’essence de bois qui constitue le cadre n’est pas la plus noble, la présence d’une branche de laurier doré, circulant de façon naturelle entre les rondelles en bronze, témoigne d’une recherche décorative qui ne peut provenir que de l’artiste. Ce dispositif de présentation a d’ailleurs été dupliqué dans d’autres cadres. On le retrouve avec certitude au musée des beaux-arts de Draguignan dont la livraison date de la même année. Au-delà de nous dévoiler une production sérielle de cadres, cette similarité sert aussi à illustrer les autres dispositifs achetés en 1893 à Ringel pour être respectivement donnés aux musées d’Armentières, d’Avignon, de Boulogne-sur-Mer et de Cannes, mais qui figurent malheureusement parmi les dommages de la première guerre mondiale.

L’omniprésence des œuvres de Ringel dans les collections des musées de France ne serait pas possible sans le rôle essentiel d’un homme, dont nous avons déjà cité le nom pour être à l’origine de cette série de médaillons : Léon Gauchez. Fidèle conseiller artistique d’Alphonse de Rothschild dont Pauline Prévost-Marcilhacy a détaillé l’action capitale pour régir cette politique massive de dons, son intervention dans la carrière de Ringel pour l’obtention de commandes et la valorisation de sa production par la rédaction d’un article dans la revue qu’il administre, vient questionner la réalité du goût du baron pour le médaillon et cet art expressif du portrait. Un épisode qui se déroule en juillet 1884 nous permet à ce titre d’entrevoir ses motivations. Alors qu’il prend l’initiative d’offrir deux médaillons aux musées nationaux, il explique : « La situation difficile et le talent tout à fait supérieur de M. Ringel m’ont donné l’idée de lui commander les médaillons des artistes vraiment originaux de notre temps. J’ai choisi comme début M. Auguste Rodin, le sculpteur, […] et des bustes de Victor Hugo, du peintre J. P. Laurens et M. Léon Lhermitte […]. J’ai en même temps pour but d’aider au relèvement d’une industrie d’art, la fonte sur cire perdue ; c’est pourquoi j’ai demandé à M. Ringel de faire fondre par ce procédé deux exemplaires de ses médaillons. Il s’est à cet effet adressé à M. Bingen qui les a parfaitement réussis. Enfin, je voudrais contribuer à la formation d’une collection nationale de portraits et c’est dans ce but que j’ai l’honneur de vous prier d’accepter, au nom de [la revue] l’Art, un exemplaire » (Arch. des Musées nationaux, L8_1884_28 juillet_04).

En outre, Ringel reçoit le soutien d’Eugène Guillaume, dont le visage termine la galerie du cadre de Tourcoing. Son appui n’est pas négligeable puisqu’il officie alors à la direction de l’École des Beaux-arts. Dans une lettre au directeur de l’Administration des beaux-arts datée du 15 septembre 1886, il relaie « les souffrances [que Ringel] a endurées pendant la guerre [qui ont] fini par le mettre dans le plus triste état. En effet, pendant la campagne de l’Est, il a eu toute une partie du corps gelée : le côté droit » (Arch. nat., F21 2108). Loin d’être anecdotique, ce handicape explique pourquoi au milieu des années 1880, Ringel modifie sa stratégie artistique en délaissant la statuaire pour la médaille. Le médaillon modelé apparaît comme une alternative à son incapacité physique de pratiquer la sculpture monumentale. En effet, quand le corps ne dispose plus de la capacité à investir la taille du marbre ou même le modelage en terre plastique en grande dimension, la médaille résout bien des difficultés. Elle se travaille à plat ou sur un plan incliné, mais surtout en position assise et c’est là un soulagement non négligeable pour les corps meurtris.

Contrairement à la production statuaire de Ringel qui a souvent fait scandale lors de sa présentation, la production de médaillons a été appréciée du public. Beaucoup l’inscrivent dans la continuité de la série de David d’Angers, comme Paul Leroi qui, dans sa chronique du Salon de 1887, tente d’entretenir une polémique autour d’un dialogue fictif entre deux correspondants, l’un défendant « la sculpture de David d’un enseignement supérieur » et l’autre prenant pour parti Ringel qui « a l’avantage de ne faire que d’après nature, très vite il est vrai, mais […] semblant vouloir saisir l’expression physionomique dans ce qu’elle a de plus fugitif [sic] » (Leroi, 1887, p. 205-206). Seuls quelques critiques consciencieux, comme Maurice Hamel, ont pu écrire : « [Les médaillons] de M. Ringel, traités avec vigueur et par accents décisifs, gagneraient en expression si le modelé était plus simple ; certains profils comme ceux de MM. Dumas, Arago, Labiche, de Goncourt sont vivement et nerveusement accusés. D’autres s’inscrivent moins nettement, empâtés par trop d’insistance » (Hamel, p. 51). Toujours est-il qu’au début du XXe siècle, alors que les galeries métalliques d’hommes illustres se sont multipliées, pensons à celle que laissent Victor Peter ou Jules-Clément Chaplain qui sont aussi des médailleurs soutenus par Alphonse de Rothschild, l’art de Ringel continue a rencontré un écho favorable auprès des numismates les plus exigeants. Comme l’affirme Jean de Foville, Ringel « était connu comme statuaire : il faut désormais se souvenir de lui comme médailleur » (Foville, p. 97)

Katia Schaal, Institut national d'histoire de l'art, chargée d'études et de la recherche, 2019

En savoir plus

Bibliographie

– Jean de foville, « La Gravure en médaille aux Salons de 1903 », Gazette numismatique française, 1903, I, p. 93-97.

– Maurice Hamel, « Le Salon de 1887 (2e et dernier article) – La sculpture et la gravure », Gazette des Beaux-Arts, vol. XXXVI, juillet-décembre 1887, p. 34-56.

– Paul Leroi [pseudonyme de Léon Gauchez], « Ringel, statuaire, médailleur, dessinateur, aquafortiste », L’Art, 1885,  38, p. 3-10, 63-71.

– Paul Leroi, « Salon de 1887 – (XXXe partie) », L’Art, 1887, 43, p. 185-191.

– Jean Lorrain, « L’homme aux têtes de cire », Buveurs d’âmes, Paris : G. Charpentier et E. Fasquelle, 1893, p. 123-133.

– Pauline Prévost-Marcilhacy (dir.), « Alphonse de Rothschild et Léon Gauchez : un tandem artistique », Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France, Paris, Louvre Éditions / BnF / Somogys éditions d'art, 2017, I, p. 139-142.