Masque mossi

Au musée du quai Branly-Jacques Chirac

 Masque Mossi

Masque sukomse, mossi

Burkina Faso

Paris, musée du quai Branly-Jacques Chirac, n° 71.1968.96.2
Don d'Alix de Rothschild, 1968

Les arts extra-occidentaux tels qu’ils sont aujourd’hui définis au musée du quai Branly, ont été peu représentés et de façon assez brève dans l’histoire du mécénat de la famille Rothschild. Je vais évoquer ce moment à travers un objet à la fois très emblématique des archétypes de l’art africain, un masque, objet porté devant le visage ou au sommet de la tête, et très rare dans sa typologie (masque sukomse, mossi, Burkina Faso), dont on ne connait que quelques exemplaires dans des collections privées et qui n’a été étudié in situ et identifié que très tardivement par le Professor Christopher Roy (Iowa University).

C’est à travers la relation de la baronne Alix de Rothschild (1911-1982), née Alix Hermine Jeannette Schey de Koromla, qui épousa le 30 décembre 1937 le baron Guy de Rothschild, un cousin lointain dont elle divorça en 1956, avec le musée de l’Homme que cet objet est entré en 1968 dans les collections nationales. Passionnée par la préhistoire et l’ethnologie, elle fut plutôt collectionneuse de peinture de la Seconde École de Paris et impressionnisme allemand. Elle entretint une relation privilégiée avec le musée de l’Homme dont elle assura la Présidence de la Société des Amis entre 1963 et 1976, marquant une période brillante qui transforme la société des Amis en institution culturelle. De ce fait elle fit entrer au musée par don une centaine d’objets d’origines variées, fruit d’acquisitions parfois liées à des projets d’expositions.

Toute une série d’expositions temporaires impulsèrent une nouvelle ambition, mettant alors l’accent sur la dimension esthétique d’arts qualifiés à l’époque soit d’ethnographiques, soit de « primitifs », dont la reconnaissance en ce qui concerne les arts africains (Afrique sub-saharienne), commença  à  atteindre une valorisation et surtout une autonomie sur le marché de l’art dans le courant des années 60. C’est aussi l’époque de la décolonisation du Musée de la France d’Outre-Mer par André Malraux, qui se redéfinit sous le nom de Musée d’arts africains et Océaniens, impliquant une qualification différente de celle des collections plus historiques de l’ancien musée d’Ethnographie du Trocadéro (1878) reconstruit et  rebaptisé Musée de l’Homme  (1937).  Alix de Rothschild accompagnée des conseils avisés de Marcel Evrard, libraire-galeriste passionné d’arts primitifs, organise plusieurs grandes expositions qui positionnent le musée de l’Homme comme un lieu possible de réconciliation entre Art et Ethnologie. Michel Leiris et Jacqueline Delange, responsables du Département d’Afrique noire, publient ensemble le premier ouvrage dédié à l’Afrique noire dans la collection l’Univers des Formes (1967). Cette décennie (1960/1970) est également un moment d’ «âge d’or» d’une nouvelle race de galeristes voyageurs, aventuriers et  collecteurs sur le terrain qui font découvrir à un public d’amateurs confirmé des formes nouvelles qui étendent sans cesse le répertoire des arts d’un continent en pleine mutation.

Les arts du Burkina Faso sont représentés de façon non exhaustive dans la collection du Musée de l’Homme depuis les années 1930 par les collectes d’ethnologues, ou administrateurs-ethnologues comme Henri Labouret, mais ce type de masque zoomorphe composite très particulier n’y figurait pas.

Il s’agit d’un masque de format horizontal en bois polychrome relevant d’une population très hétérogène du centre du Burkina Faso, les mossi, cavaliers conquérants arrivés dans cette région habitée par des populations d’agriculteurs qu’ils ont subjugués à la fin du XVe siècle en créant plusieurs royaumes. La distinction entre conquérants et conquis a perduré à travers le temps départageant prérogatives et hiérarchies.

Les masques qui relèvent de contextes de croyances locales, produits par les autochtones, les tengabisi, « enfants de la terre »,  ont été adoptés par les nouveaux venus. Le sukomse, situé au sud-ouest de l’aire culturelle mossi dont on peut souligner la grande variété des styles, relève d’une congrégation très secrète à caractère initiatique dont les manifestations en général liées au rites de passage, en particulier les initiations masculines et funérailles de notables relevant de cette association, n’ont jusqu’à aujourd’hui jamais été documentées par observation directe, photographies ou films de la part d’un non initié. Cette forme de résistance au regard extérieur et au changement caractérise l’esprit tutélaire évoqué par l’aspect général  et le décor du masque : animal  au lourd museau en forme de bec, mi-oiseau, mi-phacochère avec une queue stylisée à l’extrémité et d’étranges protubérances marquées par des chevilles et clous de fer dressés sur la face. La trichromie traditionnelle à l’ocre (rouge), kaolin (blanc) et extrait de graines d’acacia (noir) forme un décor géométrique inattendu figurant des amulettes magiques juxtaposées qui protègent et activent symboliquement la puissance du masque, tout en accentuant son aspect surnaturel. Difficile à décrypter au premier regard  et curieusement moderne, rare et inédit, on peut comprendre que ce masque mystérieux ait interpellé la curiosité d’une femme de son temps, face aux formes plus raffinées et classiques  validées par  le goût des grands collectionneurs de la première moitié du XXe siècle. Il a été exposé  depuis son ouverture dans les salles permanentes du musée du quai Branly-Jacques Chirac qui vient de fêter ses dix ans, au sein d’une série de masques de référence du Burkina Faso,  qui ont très récemment cédé la place à une pièce historique du pays dogon. Cette reconnaissance des qualités esthétiques, culturelles et historiques, à travers son histoire de collection, d’un masque original  a constitué une forme d’hommage à l’engagement d’une des plus grandes figures de la Société des Amis du Musée de l’Homme.

Sortie de masques bwa à Boni (photo Chris Roy)

Hélène Joubert, Conservateur en chef, Responsable de l’Unité patrimoniale des collections Afrique, usée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris

* Ce texte a été présenté lors de la table-ronde dédié au programme « Les collections Rothschild dans les collections publiques françaises » à l'occasion de la parution de l'ouvrage dirigé par Pauline Prevost-Marcilhacy (Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France, 3 vol., Paris, éditions du Louvre/Bibliothèque nationale de France /Somogy éditions d'art, 2016) et de la mise en ligne de ce site (Paris, l'Institut national d'histoire de l'art, 24 novembre, 2016).   

En savoir plus  

Bibliographie 

- Christopher Roy, Mossi : Diversity in the Art of a west African People (2015)

- Christopher Roy, Land of the Flying Masks: Art and Culture of Burkina Faso, 2007.

Intervention d'Hélène Joubert