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La mort de Sisara, par Antoine-Louis Manceaux
Au Palais-Fesch-Musée des Beaux-Arts d'Ajaccio
Antoine-Louis Manceaux
(Calvi, 1862-Beauvais, 1939)
La Mort de Sisara
Huile sur toile, 198 x 235 cm
Inscriptions : « L. Manceaux », « 89 ».
Don de la baronne Nathaniel de Rothschild, 1889.
Ajaccio, Palais Fesch-Musée des Beaux-Arts
Inv. : MFA 889.1.1
Le père d’Antoine-Louis Manceaux, originaire des Ardennes, était professeur de mathématiques au collège de Calvi. Sa mère était Corse. Il passe à Calvi les années de son enfance et de sa jeunesse. Il fait au collège des études classiques, lisant beaucoup et dessinant. Son père favorise son goût pour la peinture. Il obtient une bourse du Conseil général de la Corse qui lui permet de se rendre à l’École des Beaux-Arts de Marseille en 1882, où il séjourne deux ans. En 1884, il entre à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier d'Alexandre Cabanel, puis suit l’enseignement de Delaunay, Maillart et Moreau. La même année, il fait son premier envoi au Salon, avec un Portrait du sculpteur Paul Aubé dans son atelier (localisation actuelle inconnue). Ses rapides progrès sont récompensés par de nombreux prix.
Manceaux devient professeur de dessin à Beauvais et passe en février 1892 de l’Association Polytechnique à la Manufacture Nationale de Tapisseries de Beauvais, où il exerce jusqu’en 1925. Il enseigne également le dessin et la peinture dans divers établissements de Beauvais. L’œuvre de Manceaux est importante et variée : peintre de la vie rurale, de la campagne et de ses habitants, peintre de la vie sociale, des travailleurs et des malheureux, il est aussi peintre d’histoire. Il figure dans de nombreux Salons de 1886 à 1932, notamment au Salon des Artistes Français, où il adresse des œuvres représentant la Corse. Titulaire de médailles d’or pour la peinture et pour la lithographie, il est classé hors concours puis devient membre du jury des Artistes Français dans ces deux sections. Bien que solidement ancré dans le Beauvaisis, Manceaux n’oublia pas la Corse. Il s’y rendit et la peignit avec sensibilité, dans sa diversité : Le Vendredi Saint à Calvi, Calvi, vision antique, Berger corse, Femmes portant la cruche d’eau et Village ensoleillé.
Pierre Claude Giansily, conservateur des antiquités et objets d’art de la Corse-du-Sud.
La mort de Sisara
Cette œuvre se situe au cœur de la période d’apprentissage académique parisien de Manceaux qu’il débute en 1884, dans l’atelier d’Alexandre Cabanel (1823-1889). Dès 1886, il commence à exposer au Salon des Artistes Français, et c’est en 1889 qu’il y présente sa Mort de Sisara. Ce tableau est alors acquis par la baronne Nathaniel de Rothschild afin d’être donné au Musée Fesch. Il s’agit ainsi du premier don, parmi la longue série, effectué par la famille Rothschild en faveur du musée des Beaux-Arts d’Ajaccio.
La thématique de l’œuvre est conforme aux autres sujets traités par Manceaux durant cette période. En effet, au cours de son cursus à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, il exécute une esquisse peinte de Job et ses amis en 1886 (localisation actuelle inconnue), puis en 1890, Respha défend les corps des fils de Saül (localisation actuelle inconnue) et le calque de l’esquisse préparatoire au tableau représentant Le Reniement de Saint Pierre (localisation actuelle inconnue). Le sujet présenté trouve son origine dans le Livre des Juges. Sisara, chef des armées cananéennes, est défait par Baraq, envoyé de la prophétesse Déborah, sur les flancs du Mont Thabor. Sisara trouve refuge chez Jahel qui, sous couvert d’hospitalité, lui offre le gîte. Le Cananéen, ne sentant pas le danger, s’endort et Jahel en profite pour l’assassiner en lui plantant un pieu dans la tempe. Pour sa représentation, Manceaux choisit le moment précédant le meurtre, lorsque Jahel fait entrer dans sa tente un homme armé d’un pieu.
Bien que cet épisode soit traité par les élèves des académies des Beaux-Arts européennes, à l’image du Jael and Sisera de James Northcote (Londres, Royal Academy of Arts, inv. 03/181, 1787, huile sur toile, 124 x 155 cm), Manceaux préfère s’inspirer de l’esthétique baroque. En effet, son tableau est plus proche du Jahel et Sisara de Luca Giordano (Chambéry, musée des Beaux-Arts, inv. M996, huile sur toile, 172 x 118 cm). Cette œuvre est révélatrice de la mise en place d’une des constantes de l’art de Manceaux, à savoir l’attrait pour le ténébrisme, tant dans ses coloris que dans la retranscription de la condition humaine. Ici, la noirceur du décor est assortie à la noirceur de l’âme des protagonistes. Plus tard, lorsque Manceaux se tournera vers d’autres sujets, il gardera une prédilection pour les ténèbres et la misère, par exemple avec Deuil en Pays Noir, conservé aussi à Ajaccio. De plus, lorsqu’il s’aventurera à figurer des thèmes gais, comme le Soir de fête au village (marché de l’art, huile sur toile, 173 x 111 cm), ses personnages seront plongés dans l’obscurité. Fait étrange au regard des autres artistes insulaires fascinés par la lumière et les couleurs resplendissantes, Manceaux optera le plus souvent pour l’ombre.
Philippe Perfettini, chargé du département des peintures corses au Palais Fesch-musée des Beaux-Arts
En savoir plus
Bibliographie :
– Exposition des Beaux-Arts. Salon de 1889. Catalogue illustré. Peinture & Sculpture, Paris, Ludovic Baschet, [1889], p. 294.
– Giansily, Pierre Claude, Dictionnaire des peintres corses et de la Corse (1800-1950), Ajaccio, 1993, p. 41
– Costamagna, Philippe (dir.), Passionnément, cat. de l'exp. (Palais Fesch-musée des Beaux-Arts), Ajaccio-Montreuil, FRAC de Corse ; Gourcuff Gradenico, 2012, n° 35, p. 35, 43.
– Sérié, Pierre, La peinture d’Histoire en France, 1860-1900. La lyre ou le poignard, Paris, 2014, p. 448.
– Prevost-Marcilhacy, Pauline, 2016, 1, fig. 2, p. 202-203.