Grenades et mendiants par Charles-Georges Rivière

Un tableau rescapé de la donation Rothschild au musée Antoine Lécuyer de Saint-Quentin (Aisne)

Charles-Georges Rivière, Grenades et mendiants, musée Antoine Lécuyer de Saint-Quentin © Musée Antoine-Lécuyer, Saint-Quentin (Aisne) / Gérard Dufrêne

Charles-Georges Rivière (1848-1920)
Grenades et mendiants

Huile sur toile
H. : 70  cm ; L. : 56,5 cm
1891
Exposée au salon de 1891, n° 1408
Don Alphonse de Rothschild, 1891
Saint-Quentin (Aisne), musée Antoine-Lécuyer
Inv. 2008.41.1 FA

Les musées de Saint-Quentin à la fin du XIXe siècle

Au début des années 1880, le musée de Saint-Quentin se trouvait derrière l’hôtel de ville, dans l’ancienne abbaye de Fervaques. Construit au XVIIe et au XVIIIe siècle, l’édifice renfermait également la bibliothèque et l’école de dessin. Sa chapelle faisait office de salle des fêtes. Dans ce local peu adéquate étaient rassemblés peintures, sculptures et les 93 pastels constituant le célèbre fonds d’atelier de Maurice-Quentin De La Tour (1704-1788), né et mort à Saint-Quentin. En 1877, le banquier saint-quentinois Antoine Lécuyer (1793-1878) légua son hôtel particulier construit en 1873 pour le transformer en musée. Le nouvel établissement ouvrit ses portes en 1886. Les précieux pastels y occupaient trois salons du premier étage, tandis que dessins, tableaux et objets d’art du legs récent des frères Félix et Josias Le Sérurier étaient exposés au rez-de-chaussée. Il s’y ajoutait quelques autres tableaux, sculptures et des objets archéologiques. Les œuvres de grands formats et du XIXe siècle restèrent dans l’abbaye de Fervaques, dans le « musée municipal » puis furent transférées au palais de Fervaques, monumentale bâtisse édifiée en 1897, ouverte en 1903 et inaugurée le 3 mai 1914.

La donation Rothschild de Saint-Quentin

Avec la création du musée Antoine Lécuyer, en 1886, Saint-Quentin se voyait enfin doté d’un lieu spécifiquement dédié à la conservation des œuvres d’art et son ouverture dut attirer l’attention des amateurs. C’est sans doute ainsi qu’il faut expliquer les premiers envois d’Alphonse de Rothschild, peu de temps après. A partir de 1888 et jusqu’à sa mort, en 1905, le généreux donateur fit envoyer, chaque année, une ou plusieurs œuvres à Saint-Quentin, souvent acquise au Salon (S.) de l’année. En l’absence d’archives conservées, les volumes imprimés des délibérations du conseil municipal de Saint-Quentin ont seuls permis de reconstituer la donation :

1888, un tableau par Édouard Gelhay, Le Laboratoire d’anatomie comparée au Museum (S. 1888, n° 1092), une aquarelle par Alda Dampt, Fruits ; 1889, un tableau par François de Montholon, L’Ellée, au Faouët (Morbihan) (S. 1889, n° 1931) ; 1890, un tableau par Albert Gosselin, Au matin ; - septembre (1889) ; 1891, un tableau par Charles-Georges Rivière, Grenades et mendiants (S. 1891, n° 1408) ; 1892, un pastel par Armand Berton, Sortie du bain ; 1893, trois médaillons de bronze par Victor Peter, Claude-Charles Bourgonnier, Édouard Remy et Pierre-Paul David d’Angers, un pastel par Émilie Dauvergne, Été, deux eaux-fortes par Émile Daumont, d’après Charles Lapostolet, Un Quai à Rouen et Maurice Deville, d’après Maurice Eliot, À l’atelier, une aquarelle, par Richard Fehdmer, Hiver ; 1894, un tableau par Léon Joubert, La Seine à Lavacourt (S. 1894, n° 998) ; 1895, un marbre par Victor Peter, Lionceau de l’Atlas ; 1896, un tableau par Auguste Prévot-Valéri, L’Automne à Dammartin (S. 1896, n° 1636) ; 1897, une gouache par Paul Biva, Chrysanthèmes (S. 1897, n° 1848) ; 1898, un bronze par Camille Claudel, Mon frère ; 1899, un tableau par Henri Zo, Un Incident (S. 1899, n° 2028) ; 1900, un bronze par Paul Loiseau-Rousseau, Cavalier arabe, une aquarelle par Jean-Louis Verchain, Le Chemin montant (S. 1900, n° 1782) ; 1901, un tableau par François de Montholon, En Bretagne (S. 1901, n° 1484) ; 1902, un pastel par Léon Printemps, Volupté ; 1903, un tableau par Louisa Descamps-Sabouret, Nature morte (S. 1903, n° 542 ou 543) ; 1904, deux marbres par Henri Gréber, 1800 et 1900 (S. 1904, n° 4716 et 4717), un pastel par Yvonne Laur, Mère chatte ; 1905, un marbre par François Etcheto, François Villon.

Exclusivement composée d’œuvres contemporaines, la donation était variée par ses techniques, ses thèmes et ses artistes mais ne comportait ni nom célèbre ni ne reflétait les courants artistiques modernes de l’époque. Il ne semble pas qu’elle ait été conduite par des choix particuliers, à l’exception peut-être, en 1898, du bronze Mon frère, de Camille Claudel, née dans le département de l’Aisne, à Fère-en-Tardenois, le 8 décembre 1864.

La lettre qui précédait chaque envoi était transcrite dans les délibérations du conseil municipal. Elle était toujours signée de Paul Leroi, collectionneur, critique d’art et fondateur-directeur de la revue bi-mensuelle illustrée L’Art. L’émissaire était vraisemblablement chargé de signaler à Alphonse de Rothschild les musées à doter et peut-être les œuvres à acquérir lors des Salons ou dans les ateliers des artistes. La donation était accordée sous certaines conditions, notamment d’exposition permanente :

Paris, cité d’Antin, 31 juillet 1891

Monsieur le Maire,

Ayant eu l’occasion d’entretenir de nouveau, du musée de Saint-Quentin, M. le Baron Alphonse de Rothschild, je suis heureux de vous annoncer que M. de Rothschild m’a chargé d’offrir, en son nom, à la Ville de Saint-Quentin, à titre incessible et inaliénable, et à la condition expresse d’exposition à demeure au Musée municipal ou au Musée Lécuyer : Grenades et Mendiants, tableau de M. Charles-Georges Rivière, exposé au Salon de 1891, sous le n° 1408.

Veuillez me dire, Monsieur, si la Ville souscrit aux conditions de ce don, qui vous est expédié franco.

Existe-t-il des catalogues des deux musées ? S’il vous convient de me les envoyer, et de recommander à Messieurs les conservateurs de me tenir régulièrement au courant des accroissements des deux Musées, j’en entretiendrai les lecteurs de L’Art, revue que j’ai fondée, il y a 17 ans, ainsi que je le fais pour les autres Musées.

Veuillez agréer, etc.

Paul Leroi

Une donation décimée par la Première Guerre mondiale

En février 1917, lorsque l’occupant allemand donna l’ordre à l’ensemble de la population saint-quentinoise de quitter la cité, une grande partie des collections du musée Lécuyer (et d’abord les pastels de De La Tour) fut récolée conjointement par le conservateur-adjoint du musée, Fernand Israël, et un lieutenant de réserve allemand spécialiste de peinture vénitienne, Detlev von Hadeln, puis envoyée à Maubeuge pour être présentée dans un musée spécialement aménagé dans un ancien magasin de confection, Au Pauvre Diable. La donation Alphonse de Rothschild était apparemment conservée dans le musée du palais de Fervaques. Restée sur place, elle fut sans doute la proie des destructions et des pilleurs. En effet, la quasi-totalité des vingt-huit œuvres qui la constituait disparut. Lors de l’opération de rangement de la réserve du musée Antoine-Lécuyer et de récolement des collections, en 2008, seule la peinture Grenades et mendiants, de Charles-Georges Rivière (1848-1920), offerte en 1891, fut retrouvée. Quelques autres nous sont connues par leur reproduction dans le catalogue illustré du Salon, telles Le Laboratoire d’anatomie comparée au Museum d’Édouard Gelhay (1856-1939), offerte en 1888, Au matin ; - septembre d’Albert Gosselin (1863-1940), offerte en 1890 et Un Incident d’Henri Zo, offerte en 1899.

Hervé Cabezas, Conservateur du patrimoine et directeur du musée Antoine-Lécuyer, Saint-Quentin (Aisne)

En savoir plus

Bibliographie

–  Cabezas, Hervé et Kott, Christina, Saint-Quentin – Maubeuge, 1917. Les Pastels dans la guerre, catalogue d’exposition, Saint-Quentin, musée Antoine-Lécuyer, 21 avril-11 juin 2007.

– Cabezas, Hervé « L’empreinte de la guerre de 1914-1918 dans les collections du musée Antoine Lécuyer à Saint-Quentin », La Revue des musées de France. Revue du Louvre, 2014, n° 4, p. 86-97.