La polyptyque de Floreffe

Au département des objets d’Art du musée du Louvre

La polyptyque de Floreffe

Polyptyque-reliquaire de la Vraie Croix

Nord de la France ou Ile-de-France

Exécuté en ou après 1254 pour l'abbaye de Floreffe
Argent doré repoussé, cuivre ciselé, gravé et doré, filigranes, nielles et pierres précieuses.
Paris, musée du Louvre, département des objets d’Art, inv.OA 5552
Legs d'Adolphe de Rothschild, 1900.

Le polyptyque de Floreffe est l’œuvre la plus exceptionnelle du legs consenti par Adolphe de Rothschild à sa mort (7 février 1900). Par ses dispositions testamentaires, Adolphe de Rothschild léguait, selon ses propres termes : « ce qu’il

avait de mieux et de plus précieux » c’est-à-dire les « objets à sujets chrétiens ou ayant servi au culte chrétien », à « la

nation à laquelle il [avait] le bonheur d’appartenir ». Ce legs à la nation, clairement conçu par son auteur comme un acte  d’évergétisme, fit grand bruit lorsque la collection entra au Louvre en 1901. Les chroniqueurs s’en  firent l’écho, soulignant avec enthousiasme et gratitude la qualité de cette donation. Parmi cet ensemble d’œuvres religieuses médiévales, le polyptyque de Floreffe, de l’avis unanime, occupait la première place.

L’œuvre, en effet, est un des fleurons de l’orfèvrerie médiévale : c’est le seul grand polyptyque d’orfèvrerie gothique conservé et, de plus, sa provenance est parfaitement bien connue, depuis sa création jusqu’à son achat par le baron Adolphe.

Le précieux reliquaire d’argent doré fut conçu pour abriter une relique de la Vraie Croix, une des nombreuses reliques parvenues en Occident à la suite de la quatrième croisade et de la prise de Constantinople par les croisés en 1204. Baudouin IX, comte de Flandre et de  Hainaut, premier empereur latin de Constantinople, en fit don à son frère, Philippe le Noble, comte de Namur, qui la donna à l’abbaye prémontrée de Floreffe (proche de Namur). La relique était miraculeuse : à peine arrivée à l’abbaye, elle laissa échapper quelques gouttes de sang pendant l’office de la fête de l’Invention de la Croix. Cinquante ans plus tard, le miracle se reproduisait, toujours le jour de la fête de l’Invention de la Sainte Croix (3 mai 1254). C’est donc ce double miracle (rappelé sur l’inscription niellée qui court le long de l’intrados de l’arc central et à la base du reliquaire) qui détermina la création, en ou après 1254, du polyptyque abritant cette précieuse relique.

L’œuvre se situe dans une tradition déjà bien ancrée au XIIe siècle dans la région mosane, avec, dans la partie centrale, les deux statuettes d’ange présentant la Croix contenant la relique miraculeuse (la croix, amovible, fut probablement refaite vers 1881, au moment de l’acquisition par Adolphe). Elle adopte pour sa structure le langage gothique d’une micro-architecture avec colonnettes, pinacles, tourelles, gâbles couronnés de crochets et dais abritant les statuettes des volets.

Lorsque le triptyque est ouvert, on y voit : au centre deux anges présentant la croix d’orfèvrerie abritant la relique miraculeuse ; sur les volets, au sommet, deux anges agenouillés portant les instruments de la Passion surplombent les scènes de la Passion, qui se lisent en partant d’en bas à gauche, dans le sens des aiguilles d’une montre : la Flagellation, puis en haut à gauche la Crucifixion, en haut à droite la Descente de Croix et enfin en bas à droite les Saintes Femmes au Tombeau. Dans les pinacles, les figures de l’Église et de la Synagogue encadrent le bois de la Croix, soulignant son rôle d’instrument du Salut.

Le revers, entièrement ciselé, présente au centre la Crucifixion, sur les volets Saint Pierre et Saint Paul, les princes des apôtres, et l’Annonciation, seule visible quand le polyptyque est fermé. Dans les pinacles, les Vierges sages et les Vierges folles ainsi que deux figures de prophètes complètent ce programme iconographique cohérent, centré sur l’histoire du Salut depuis l’Incarnation (Annonciation, retable fermé) jusqu’à la Résurrection par la Croix (retable ouvert).

Le polyptyque présente un véritable florilège de toutes les techniques des orfèvres gothiques, sous une forme parfaitement aboutie : statuettes en ronde-bosse (ou quasi) travaillées au repoussé, ciselure des fonds, du revers, des motifs décoratifs et des statuettes, gravure des fonds ornementaux, nielle des inscriptions, des plaquettes décoratives, de l’Église et de la Synagogue.

Du point de vue stylistique l’œuvre est extrêmement intéressante : elle illustre le rayonnement du style parisien lié au chantier de la Sainte-Chapelle, consacrée en 1248. Les statuettes des scènes de la Passion et les saints Pierre et Paul du revers sont parfaitement représentatives de ce courant stylistique, tant par le traitement des drapés aux plis à becs profonds, que par celui des visages menus aux yeux en amande. Elles semblent l’œuvre d’un orfèvre parisien ou formé dans le milieu parisien. En revanche, les statuettes des grands anges debout, des anges porteurs des instruments de la Passion, l’Annonciation et la Crucifixion ciselées au revers semblent d’une autre main, voire de deux autres mains, plus proches d’œuvres témoignant de la diffusion du style parisien dans le Nord de la France. Le reliquaire semble donc être le fruit de la collaboration de deux, voire de trois orfèvres, comme le fut, un peu plus tard, la châsse de Sainte Gertrude de Nivelles.

Le polyptyque de Floreffe a subi les aléas de l’histoire, et en particulier les bouleversements liés à la Révolution. En 1797, l’abbaye de Floreffe était vendue comme bien national et, en 1824, les derniers chanoines durent se résoudre à vendre le reliquaire de la Vraie Croix à un collectionneur belge, le baron de Snoy. Ce chef-d’œuvre de l’art gothique figurait à l’exposition nationale organisée à Bruxelles en 1880, où il fut remarqué par Adolphe de Rothschild, qui l’acheta aux héritiers du baron de Snoy à l’issue de l’exposition, par l’intermédiaire du marchand parisien Stephan Bourgeois. Adolphe sortait par l’acquisition de cette œuvre exemplaire du règne de saint Louis de ses goûts habituels, qui le portaient plutôt vers la fin du Moyen Âge et la Renaissance. Sur le petit tableau du peintre danois Hansen figurant le cabinet de curiosités d’Adolphe dans son hôtel de la rue de Monceau, le polyptyque de la Vraie Croix occupe une place d’honneur. Il voisine aujourd’hui au Louvre avec une autre splendeur de l’art gothique, le groupe en ivoire de la Descente de Croix, dont une des statuettes, le Nicodème, est un don des héritiers du baron Robert.

Élisabeth Antoine-König, conservateur en chef au département des Objets d’art, musée du Louvre

* Ce texte a été présenté lors de la table-ronde dédié au programme « Les collections Rothschild dans les collections publiques françaises » à l'occasion de la parution de l'ouvrage dirigé par Pauline Prevost-Marcilhacy (Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France, 3 vol., Paris, éditions du Louvre/Bibliothèque nationale de France /Somogy éditions d'art, 2016) et de la mise en ligne de ce site (Paris, l'Institut national d'histoire de l'art, 24 novembre, 2016).   

Joseph Théodore Hansen, Le cabinet de curiosités d’Adolphe de Rothschild, vers 1881, collection particulière.

 

En savoir plus  

Bibliographie   

– Antoine-König, Élisabeth, « L’art médiéval au musée du Louvre et au musée de Cluny, 1901 », dans P. Prevost-Marcilhacy (dir.), Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France, 3 vol., Paris, éditions du musée du Louvre/Bibliothèque nationale de France/éditions d'art Somogy, 2016, I, p. 252-263.

Intervention d'Elisabeth Antoine